Parti Socialiste : désembourber la gauche
Par Denis


La sortie de Mélenchon du PS en créant, avec le PdG, une base arrière pour ses amis restés au PS, la création du NEP (Nouvel Espace Progressiste) par Robert Hue, l’appel de Clémentine Autain à la création d’une fédération, l’arrivée prochaine du NPA de Besancenot, la disparition électorale au niveau national de LO et du PCF sont autant de signaux d’un processus de décomposition de la gauche politique dans notre pays. Le non-choix des militants socialistes lors du congrès de Reims et le 50-50 entre Martine Aubry et Ségolène Royal sont autant de réalités qui confirment cette triste impression.
Comme pour mieux l’accompagner, Sarkozy et Bayrou y travaillent chacun à leur façon. Pour le chef de l’UMP, la stratégie d’ouverture s’appuie sur le fait que les représentants de la gauche politique sont loin d’être sociologiquement de gauche. Les passerelles en sont alors rendues beaucoup plus faciles. Pour François Bayrou, la dégradation de l’image du Parti Socialiste auprès des sympathisants de gauche lui permet sereinement de se présenter comme le leader naturel de la gauche et du centre contre la droite aux prochaines élections présidentielles de 2012. Sans doute, faut-il y voir les raisons de l’acharnement du chef de l’UMP à poursuivre son débauchage en direction, notamment, des radicaux de gauche ?
Tous ces événements récents posent clairement la question de la mise en place de nouveaux outils politiques de conquête pour la gauche de gouvernement.
Un mode de fonctionnement archaïque…
Combinaison issue de l’organisation administrative de la France et des modes de fonctionnement de la République, les structures du Parti Socialiste en font aujourd’hui une machine à perdre. La schizophrénie institutionnelle du Parti Socialiste mâtinant parlementarisme (pour des raisons historiques et culturelles) et présidentialisme (pour des raisons de circonstances liées à la nécessaire adaptation au quinquennat) explique aujourd’hui sa réelle complication à se ré-autonomiser à défaut de le ré-enchanter.
En milieu rural et dans les villes de taille moyenne, les sections du Parti Socialiste sont rattachées aux cantons. Dans les grandes villes, elles sont liées aux arrondissements. Le choix des candidats se fait sur des critères « locaux » à la manière du fonctionnement du Parti Radical sous la troisième République. Dans ce cadre, il n’y a vraiment pas de quoi se gargariser des succès locaux du Parti Socialiste. Ils sont endogènes à son mode d’organisation. La résistance électorale du PCF observée lors des dernières municipales et cantonales de 2008 peut d’ailleurs s’expliquer sur le même mode. Du fait de leur faible surface électorale, les Verts et le PCF sont organisés désormais selon des unités administratives plus importantes. Ils ont intégré et anticipé la place de plus en plus grande réservée à la Région du fait que les règles administratives de la France sont induites des directives européennes.
L’incapacité à gagner les élections nationales s’explique par un autre facteur qu’avait mis en évidence Antonio Negri. Les organisations politiques de gauche reproduisent le mode de fonctionnement de l’entreprise industrielle taylorienne. Dans les partis, il y aurait d’un côté les producteurs (militants colleurs d’affiche) et les cadres (membres des instances nationales et fédérales). Mais la vision d’Antonio Negri n’a pas intégré le fait que la division du travail fait aujourd’hui que la rédaction des projets politiques, la communication sont confiés à des professionnels qui se situent en dehors des partis. Les représentants politiques brillent alors par leur qualité de bon répétiteur.
En voulant un chef à tout prix afin d’éteindre le feu qui couve, les socialistes font un contre-sens historique qui emprunte autant à la thèse de Tonio Negri qu’à l’accident mitterrandien. A gauche, Mitterrand était un homme de droite. Et c’est en homme sociologiquement de droite qu’il a su comprendre que les divisions des socialistes étaient culturellement insurmontables. L’échouage en eaux profondes de Ségolène Royal tient en sa croyance en la possibilité de reproduire le hold-up mitterrandien. L’histoire ne se répète pas. N’est pas Mitterrand qui veut ! En cela, en quoi les schémas tactiques de Delanoë, d’Aubry ou de DSK se différencient-ils du schéma tactique de la présidente de la région Poitou-Charentes ?
…amplifié par les tares de la société française !
Plus perceptibles à gauche, la tension sur l’emploi et la guerre des places telle que l’avait évoquée Vincent de Gaulejac n’ont fait que renforcer la professionnalisation de la vie politique française. Les représentants nationaux du Parti Socialiste proviennent, pour l’essentiel, de l’ENA. Élu(e)s, les énarques nomment des assistants parlementaires qui deviennent alors des représentants de deuxième division promis à la première, fidèles à ceux qui leur ont mis le pied à l’étrier. Les liens « alimentaires » expliquent alors de bien curieuses « solidarités » idéologiques qui résistent à l’épreuve du temps. Il faut y voir une réelle complication des socialistes français à s’opposer frontalement au cumul des mandats.
L’autre mode d’accession au pouvoir au sein du Parti Socialiste est manifestement l’appartenance aux loges franc-maçonniques. La spécificité de la maçonnerie française est avant tout cette culture du secret qui l’entoure et qui la pervertit. Les maçons auraient les clés leur permettant de comprendre le fonctionnement du monde. Chez les socialistes, on pourrait se contenter de leur demander d’essayer de comprendre le fonctionnement de la société française. Les hiérarchies ou grades au sein des loges font que les décisions se font très souvent en dehors du Parti Socialiste. Pour preuve, ce sont bien les « frangins » qui ont demandé à Ségolène Royal de mettre en sourdine sa contestation du scrutin des 20 et 21 novembre derniers. Les modes de désignation aux élections locales se font aussi dans le secret des loges. Ce n’est pas complètement un hasard si les plus grosses fédérations sont tenues par des franc-maçons.
On pourrait enfin évoquer le népotisme, cette gangrène qui ronge la société française. Au sein du Parti Socialiste, le phénomène est extrêmement récent. Mais il est réel. L’arrivée de Martine Aubry est, en la matière, tout un symbole qu’il conviendrait, certes, de relativiser. Ajoutons-y un repli communautaire et identitaire qui creuse artificiellement les différences comme pour mieux « apparaître » dans cet îlot d’indifférence.
Que faire : concilier les engagements événementiels et structurels !
La loi Marleix qui prévoit le transfert des compétences des communes vers des communautés de communes élargies et des départements vers les régions n’a toujours fait l’objet d’aucune anticipation des hiérarques socialistes englués qu’ils sont dans le grand souci de leurs petites personnes, de leurs amis. L’échelle cantonale n’est plus adaptée à l’affaiblissement continu du militantisme politique. Car, à ce rythme, les salles seront bien trop grandes pour réunir les militants des sections. Elles le sont déjà. Le PS a perdu plus de 10000 adhérents depuis 2007, soit près de 2/5 de ses effectifs.
Nicolas Sarkozy, avec l’UMP, a réussi à fédérer les droites. Conscient que son œuvre est partiellement achevée, il cherche à donner un véritable cadre fédéral à ce Parti, le mettant ainsi à l’abri d’une guerre des chefs que la conquête du pouvoir aura su atténuer le temps d’un quinquennat. La proposition de Clémentine Autain s’inscrit dans cette même logique. Mais là où l’alter-mondialiste le pense à la gauche du Parti Socialiste, il est urgent que les socialistes le fassent au centre de la gauche. Quelles sont les différences réelles, aujourd’hui, entre un radical, un Vert, un alternatif, un communiste et un socialiste en dehors d’un vague sentiment identitaire qui donne une consistance à son engagement ? Il est temps de se poser la question et d’essayer de travailler sur nos valeurs… communes pour sortir du processus de décomposition qui risque de nous plonger dans une longue, longue cure d’opposition. Elle a d’ailleurs déjà commencé. La question est de savoir à quel niveau de décomposition nous en sommes aujourd’hui.
La constitution d’une fédération permettrait aussi de fournir un cadre aux sympathisants et aux électeurs qui souhaitent s’engager le temps d’une campagne. La raillerie permanente à laquelle ont été confrontés les militants à 20 euros est symptomatique de l’incapacité à accepter des modes d’engagement différents. Au lieu d’additionner, le Parti Socialiste ne fait que soustraire. En terme d’image, elle coûte chère à la gauche. Cette fédération de la gauche de gouvernement permettrait aussi de sortir du cadre des Partis et des appareils lors de la désignation des candidats. Ils n’en auraient alors que plus de légitimité !
Du haut de ces 3 petites années passées au sein du Parti Socialiste, j’ai surtout le sentiment d’avoir rencontré des militants en incapacité de penser par eux-mêmes les réponses à trouver aux maux de la société française. Je n’ai d’ailleurs pas la prétention de m’en singulariser. L’absence de travail intellectuel entraîne la production de réponses simples à une société qui ne cesse de se complexifier… souvent artificiellement. Elle confine au choix d’une rhétorique défensive qui, par son caractère répétitif, finit par jouer à contre-emploi. La sous-traitance programmatique que le Parti Socialiste a confié à quelques économistes, sociologues et philosophes n’est pas de nature à réarmer la gauche. La paresse qui nous a envahis entraîne aussi à croire que l’habileté à la parole est un élément nécessaire et suffisant pour faire de la politique à gauche. Ce n’est pas de beaux parleurs qui parlent avant tout pour ne rien dire dont la gauche et le Parti Socialiste ont besoin.
Il faut d’urgence, de toute urgence réintellectualiser le débat. C’est aussi à ce prix que nous pourrons désembourber la gauche.
Crédit photos : Arehn, Photo-paysage.com, la reproduction des clés
Autres éclairages
@denis
suite à ton article, à ta tribune je suis d’accord avec ce que tu exposes, ton analyse est des plus pertinentes
et le PS n’a pas compris que le peuple de gauche le fuyais! mais pour ou ?pour qui?
la politique ne doit pas etre le pré-carré de nos élites(ENA,NORMAL SUP etc)et le recrutement de nos futurs
dirigeants ne doit en rien etre de la cooptation.
il se trouve que nous sommes nombreux à le penser mais hélas les petites mains du parti ne veulent
pas se révolter contre l’ordre établi.les cadres savent tenir un parti.
l’avenir n’est pas rose(sic)ni pour le ps encore moins pour les francais mais la recomposition d’ une
gauche politique est en marche,le ps ne peut se prévaloir de la politique de l’autruche;c’est inéluctable.
aujourd’hui,lePRG de BAYLET est pres à faire alliance avec BAYROU pour les europeennes,que de
surprises en perspectives,notre score sera au plus bas et les hostilités repartiront de plus belles!
quel avenir?
max de beuzeville
Voilà des vérités qui sont bonnes à dire, et bonnes à entendre !
Encore faut-il le vouloir ou en avoir la capacité…
Ca c’est une autre paire de manches.
« Les liens “alimentaires” expliquent alors de bien curieuses “solidarités” idéologiques qui résistent à l’épreuve du temps. »
Dis donc Denis , ne me parlerais-tu pas là d’une alliance PC- PS (tendance alimentaire ….non , pardon….conseil général …. !!) , contre le PS des idées et des convictions tendance « section de Brionne et autre piétaille militante payeuse de cotisation et colleuse d’affiches « ( et donc si méprisable …!!) . Et là comme toi je me sens un peu cocu ( Merde, un gros mot) . Quelqu’un a dit cette semaine (je ne sais plus qui) que le drame de la gauche était d’avoir laissé le champ de la réflexion intellectuelle à la droite depuis 20 ans , ce n’est pas faux non ? .
Bon on arrête de dénigrer , c’est dimanche soir , y-a-t-il un bon film sur TF1 ? .
Malgré tout , bon article qui donne du » grain à moudre » pour nos prochaines réunions orphelines .
Excellent article.
Le PS est coupé des classes populaires et replié sur lui-même. L’appareil domine. Les débats sont inexistants ou fictifs. Tout ce qui compte pour le PS s’est de garder sa première place à gauche pour conserver une puissance en termes d’élus et de moyens financiers et humains.
Il n’y a aucune raison que cela change. A moins qu’une autre organisation, style PG, conteste son hégémonie.
Une analyse intéressante, que je partage sur de nombreux points. La « décomposition » (étape parfois nécessaire mais jamais suffisante à la (re)naissance, les solidarités « alimentaires », la césure entre les espaces de pouvoir(s) (agglomérations, Union Européenne, Régions) et la géographie archaïque du PS (sections locales, fédérations départementales) On aurait pu ajouter la perte des principes républicains, pour ne pas dire la perte des pricnipes éthiques tout court, comme le respect des votes.
Une réserve – de taille – cependant sur la réactivation du vieux mythe de la puissance occulte des « loges ». La vérité oblige à dire que les divergences d’analyses et de positionnements entre les socialistes « frangins », pour employer le même vocable que Denis, sont au moins aussi larges qu’entre les autres socialistes. Il serait facile de montrer que l’on trouve des socialistes pratiquant la « double appartenance » aussi bien chez les Ségolénistes les plus fougueux que chez ses adversaires les plus résolus, et même parmi ceux qui ont quitté la barque socialiste pour voguer sur d’autres bateaux. Sérieusement, si les socialistes et/ou les franc-maçons étaient capables « d’obéir » à de quelconques directives fussent-elles secrètes, cela se saurait ! Enfin, pour qui connait un peu les spécificités de la fédération du Nord, estimer, au lendemain de la victoire de Martine Aubry, que celle-ci s’expliquerait par un choix des « loges » est du plus haut comique !
@Vano
Concernant la FM, je n’ai jamais dit cela. J’ai signifié que les solidarités FM pouvaient expliquer certaines transversalités curieuses sur le plan local. Mais la prégnance de l’alimentaire me semble tout aussi importante.
Je ne crois pas avoir mentionné le choix de Martine Aubry par les FM. De fait, il y a autant de FM d’un côté que de l’autre. Valls, Rebsamen, Collomb pour ne citer qu’eux.
NB Vano=Alain ? ;+)