La fabrique des saigneurs
Par Denis


Donc, si j’ai bien compris, il y aurait dans le secteur informatique, comme partout ailleurs, deux catégories de personnes : celles qui ont un flingue et celles qui creusent. L’objectif serait, à terme, que tout le monde ait un flingue. Tâchons de faire plus simple encore, comme si c’était d’ailleurs possible. D’un côté, nous aurions le technicien qui est à l’informatique ce que le bœuf fut naguère à l’agriculture française. De l’autre, nous aurions le manager, le chef de projet qui aurait vocation à conduire la meute des techniciens à la manière d’une animatrice pour personnes âgées dans un centre de long séjour.
Cette vision, quelque peu caricaturale et très persistante, est celle du modèle de la fabrique qui prévalait déjà au XIXe. Nous n’en sommes toujours pas sortis. La modernité a inventé le cadre. L’hyper-modernité aura inventé le manager ! Après avoir exploité les ressources du monde entier, les enfants de l’Occident, devenu monde, auraient vocation à être des chefs. Mais le monde a changé et la vision néo-colonialiste qui prévalait avec le reste du monde – les niakoués – est empreinte d’une grande obsolescence. Les pays dits émergents nous ont dépassés dans de très nombreux domaines et seront bientôt en capacité de nous imposer leur technique, leurs brevets et, un jour qui sait, leurs chefs. Il suffit d’ailleurs d’aller dans les grandes entreprises françaises pour comprendre que la tendance s’est accélérée au cours des dernières années, sous les coups de boutoirs de la mondialisation. Que deviendront alors nos petits chefaillons en herbe?
Vous l’aurez sans doute compris. Cette vision n’est qu’une vaste fumisterie. Ces jeunes chefs, bardés de diplômes qui peuvent leur coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros, sont aujourd’hui payés à coup de lance-pierre, à faire des heures à n’en plus compter. Et, en guise de chefs, nous avons affaire à de nouveaux esclaves. Pour leur faire croire qu’ils sont de la race de ces nouveaux saigneurs, il suffit de leur offrir une belle voiture et un grand bureau, dans l’ombre des vrais chefs. Leurs compétences sont totalement googlelisées et, du coup, c’est à coup de copier/coller qu’ils assènent leur furieuse incompétence à la face du monde. Pas sûr que Google ou Wikipédia servent à devenir un vrai chef ! L’important serait maintenant de le faire croire.
Source : Dsfc