Haïti : quelques haïtiens sur le devant de la scène (2/3)
Par Marie-Noelle Vallet

Les drames haïtiens n’auront donc pas mobilisé les donateurs français autant que le tsunami, se plaignait à la radio un responsable de la Fondation de France il y a quelques jours.
Vancouver a effacé Haïti, il fallait s’y attendre.
Et puis la France n’a pas trop intérêt à ce qu’on se penche sur les racines des maux d’Haïti. Le Times en gros titre le 21 janvier 2010 parlait de la faute de la France, et ces quelques lignes dans Libération en janvier 2004 résumaient bien le (non) débat : « Si envisager des compensations de l’esclavage se révèle très complexe, il n’est pas interdit de parler de restitution d’une dette immorale et inique, dont la France ne sort pas grandie. Reste, bien sûr, à savoir sous quelle forme et à quel gouvernement haïtien. La députée de la Guyane, Christiane Taubira, a suggéré au début de l’année 2003 la création d’un fonds d’intervention qui irait en priorité à l’éducation, la santé ainsi que le logement, et qui serait géré par des personnalités haïtiennes et françaises. L’idée aurait pu être retenue, mais elle n’a guère rencontré d’écho. C’est vraiment dommage qu’au pays de Victor Hugo et d’Emile Zola il n’y ait qu’une députée, originaire d’une ancienne colonie, pour réclamer officiellement la restitution de la dette de l’indépendance haïtienne. La France pourtant aurait tout à gagner, et pas seulement en termes d’image et de grandeur. »
Au pays de Dumas pourrait-on rajouter, dont le métissage est largement ignoré, rien de surprenant non plus. Les journaux anglais ont donc profité du séisme pour reparler de la responsabilité de la France.
Ces anglais qui ont nommé une vice reine, ou gouverneur général, au Canada justement, où le portrait de la reine s’affiche partout (les timbres, les billets). Il y a quelques années cette nomination, archaïque et honorifique, est allée à une femme, une noire, haïtienne née en Haïti, francophone et compagne d’un ex indépendantiste québecois. Belle pirouette pour damer le pion aux contestataires de tout crin.
En France le prix Médicis 2009 est allé au québécois d’origine haïtienne Dany Laferrière pour L’Enigme du Retour ; depuis le séisme les ventes ont grimpé en flèche au Canada, où il n’a pas attendu le Médicis pour jouir d’une certaine notoriété.
En France encore, un autre haïtien Lionel Trouillot a été récompensé par le prix Wepler de la fondation La Poste (dira-t-on jamais assez de bien de la privatisation, qui transforme nos bureaux de postes en librairies papeteries !) pour Yanvalou pour Charlie. Ces deux écrivains ne peuvent être soupçonnés d’être complices de la belle opération de poudre aux yeux quant au respect de la diversité. Les antillais francophones n’ont pas eu l’honneur de figurer souvent au palmarès, à l’exception de Chamoiseau en 1992,
ignoré Raphael Confiant à la belle écriture, ignorée Maryse Condé dont il faut lire La Traversée de la Mangrove. J’ai aussi souvenir de sa colère à elle, qui ne supporte plus qu’on cherche dans chacun de ses livres des traces des traumatismes de l’esclavage ou de la condition féminine.
Outre Manche, au contraire, les quotas semblent régner depuis trente ans dans l’attribution des prix littéraires : de très belles œuvres d’anglophones non wasp (white anglo saxon protestant) y côtoient des écrivains récompensés purement à cause de leur origine (la Maori Keri Hulme en 1985 en est un triste exemple). Il est vrai que l’ex empire britannique n’a pas de mal a fournir tant de chef d’oeuvres, vu son étendue (Salman Rushdie, VS Naipaul, Coetzee, Ishiguro pour citer les plus connus, le plus beau de ces prix revenant au roman de Arhundita Roy, du Kérala, pour Le Dieu des petits Rien).
Ces récompenses, ces distinctions et ces arguties sont ils des mains tendues ou les remplacent ils ? Comment s’étonner que le virus du politiquement correct ne cesse de s’étendre ? Le dernier film consacré à Alexandre Dumas en est la preuve.
Alexandre Dumas, le lycée de Port au Prince (ce qu’il en reste) porte son nom, sa grand-mère maternelle était esclave à Haïti.
Dans des journaux anglais on rapporte l’indignation d’acteurs parce qu’on a confié à Depardieu le rôle de Dumas, et non à un vrai « noir ». Des organisations affirment très sérieusement que la France manque là l’occasion de fêter la diversité ethnique. Quand Adrian Lester, cet acteur d’origine jamaïcaine, a joué Hamlet au théatre à Paris ou le rôle de Dumaine dans Peines d’amour Perdues au cinéma, personne n’y a vu autre chose qu’un exercice réussi d’acteur accompli.
« Patrick Lozès, the president of the Council of Black Associations of France, said: « In 150 years time could the role of Barack Obama be played in a film by a white actor with a fuzzy wig ? Can Martin Luther King be played by a white ? » In an online statement the council said that the casting of Depardieu was evidence of France’s failure to promote non-white stars in its cinema and media. »
L’identité d’un personnage se réduirait -t-elle à la couleur de sa peau ? Luther King n’est plus là pour en pleurer, mais gageons qu’Obama n’y verrait rien de choquant si l’acteur jouait bien.
Crédit photos : Wikipédia.