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Heureux, les simples d’esprit ?

Par      • 23 Août, 2014 • Catégorie(s): Points de vue  Points de vue    

J’avoue mon profond désarroi à entendre que nous serions socialement conditionnés par l’inné. Il y a évidemment une contradiction manifeste – de l’ordre de l’oxymore – dans le postulat ! L’homme est un primate. Il apprend son comportement aux contacts des autres hommes, par imitation, par mimétisme. Il faut être bien sot pour ne pas comprendre que les gros mots de nos enfants sont d’abord ceux des autres.

L’enfant prodige

J’ai toujours été hébété de voir des parents s’esclaffer sur les clics de leurs mioches, alors que leurs gamins ne comprennent même pas ce qu’ils font. Là-encore, il s’agit de la répétition de séquences déjà vues ou des clics lancés au hasard desquels ils croient obtenir un résultat attendu (???). Pour apprendre les gestes qui réparent, les kinésithérapeutes ont jugé plus efficace de regarder des cassettes plutôt que d’écouter un grand professeur leur raconter la manière avec laquelle il procède. Les adultes continuent de fonctionner comme leurs enfants.

Pour jouer du piano, il faut avoir une oreille exercée, aguerrie à des fréquences auxquelles nous ne prêtons qu’assez peu d’attention en vérité. Certains d’entre nous, sensibilisés par leurs parents, leurs professeurs, leurs « éducateurs », leur environnement y font attention. La faute à la génétique, vous croyez ? Les gens talentueux sont avant tout des bosseurs. Et je n’ai jamais vu un fainéant avoir du talent. Et le fait d’avoir de l’argent n’est pas – surtout aujourd’hui – un gage de grande intelligence et de talent. Les valeurs de l’entreprise sont avant tout celle d’une concurrence exacerbée entre les individus dont on tirerait la quintessence moelle en leur apprenant à « taper » sur les autres. Croyant bien faire, nous en sommes revenus à exciter nos capacités reptiliennes primitives. Nous nous extirpons petit à petit de l’humanité.

La génétique nous donne un capital santé, très largement conditionné par le comportement de nos propres parents et par notre environnement. Nul ne peut ignorer les interactions du tabac, de l’alcool, des produits chimiques ou de la radioactivité avec le génome. Très souvent, elles engendrent des malformations. Le génome est avant tout un produit de l’environnement ! Et vouloir à tout prix nous expliquer que c’est la génétique qui nous conditionnerait relève, à mon sens, de la négation de la réalité.

Le surdoué, son QI et la tourista

Je suis toujours très admiratif de ces parents – en plein story telling – qui pensent qu’un gamin – le leur – échoue à l’école parce qu’il s’y ennuyait profondément du fait de sa grande intelligence. Rappelons à toutes fins utiles que le test de QI mesure l’intelligence d’un être vivant dans une société qualifiée d’occidentale. Notre petit surdoué plongé à l’âge de 3 ans en plein jungle amazonienne risque d’avoir beaucoup de mal à s’y adapter. Aussi excellente soit-elle, sa génétique issue de l’adaptation de ses ancêtres à leur environnement ne lui permettra pas de lutter contre la tourista du fait qu’il n’a jamais été confronté à certaines bactéries. Alors, face à la tourista, c’est de l’inné ou de l’acquis ? Il y a d’ailleurs beaucoup à s’inquiéter du changement des conditions environnementales. Les dinosaures et les ammonites ne sont plus là pour nous les raconter. Leur disparition à la fin de l’ère secondaire, elle-aussi, n’avait rien de génétique.

Dernier point, enfin. Ce retour en force idéologique de l’inné n’est pas sans nous rappeler ce qui s’était passé dans les années 30. « Les chats ne font pas des chiens » aurait pu être un slogan relevant des grands dignitaires nazis. « Katzen sind keine Hunde« . En Allemand, le verbe « faire » est devenu le verbe être. Et je ne peux pas m’empêcher, à chaque fois que j’entends ces sornettes, de penser à l’excellent film les Rivières Pourpres où les riches prennent conscience qu’il faut commencer à mélanger les gènes en s’appropriant les bébés des pauvres en bien meilleure santé. Étonnamment, les enfants des pauvres cons deviennent soudainement intelligents. Là-encore, croyez-vous qu’il s’agisse de génétique ?

 

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6 Réponses »

  1. Croire que tout ne dépend que de l’acquis me semble aussi stupide que croire que tout ne dépend que de l’inné. Il paraît logique qu’il s’agit d’un savant mélange des deux. L’inné c’est cette part dont on hérite sans en décider. C’est comme une distribution de cartes. Après, on fait ce qu’on veut de ces cartes, on peut gagner avec de mauvaises cartes ou perdre avec de bonnes cartes. Nier la petite part d’inné, c’est nier une réalité dérangeante, tenter d’oublier cette part qu’on ne maîtrise pas, parfois parce qu’on peut être inquiet de ce qu’on a pu nous transmettre ou de ce qu’on a pu transmettre… L’intégrisme dans un sens ou dans l’autre est quelque peu dangereux. L’être humain est complexe et ne peut être réduit à l’inné ou à l’acquis !

  2. @Virginie

    Tu fais ton « Bayrou ».

    Concernant l’inné, j’ai parlé, me semble-t-il, de capital transmis tout en expliquant qu’il était avant tout le produit des interactions des ancêtres avec leur environnement. L’inné est pour moi la synthèse des acquis des générations précédentes !

    Je ne lis rien dans ton commentaire qui expliquerait quoi que ce soit sur les mécanismes de fonctionnement d’un inné autonome. On pourrait évoquer les maladies génétiques que la médecine parvient parfois à adoucir. Qu’adviendrait-il d’ailleurs de ces porteurs de « mauvais » gènes si nous ne disposions pas de la médecine ? Tiens au fait, la médecine, c’est de l’inné ou de l’acquis ?

  3. @Denis,

    Bayrou ? Non, voyons, il s’agit d’une synthèse, donc Hollande ! ;+)
    Un inné ne me semble pas pouvoir être autonome, par définition…
    Mais nous avons la faculté d’être autonomes par rapport à ce que nous en faisons, avec des limites. Quelqu’un qui est génétiquement prédisposé au mauvais cholestérol peut, avec un régime strict, avoir la chance de voir son cholestérol baisser, mais peut aussi avoir la malchance, malgré tous ses efforts, de continuer à avoir du mauvais cholestérol.
    Quant à la thérapie génique, elle modifie la distribution des cartes, mais ne change pas totalement la donne.
    La médecine résulte selon moi d’un apprentissage qui repose sur des expériences.
    Inné ou acquis, il n’y a pas que ça. Le plus important me paraît de guider les enfants le plus tôt possible vers l’autonomie, pour qu’ils puissent jouer la meilleure des parties avec les cartes qui leur ont été distribuées à la naissance et pour pouvoir prendre leur destin en main !

  4. @Virginie

    Quelqu’un de génétiquement disposé au mauvais cholestérol ??? Hier, j’entendais une brave dame dire que la schizophrénie sautait deux générations. Ça doit être pareil avec le gène du mauvais cholestérol ou le gène de l’obésité. A moins que ça ne s’attrape…

    C’est comme pour Dieu, il faut y croire. L’industrie pharmaceutique, elle, a besoin en tout cas qu’on y croit !

  5. Je comprends le désarroi de Denis en lisant que « nous serions socialement conditionnés par l’inné » car ça ne veut rien dire, même pour le titulaire d’un Diplôme d’Études Approfondies de biologie du comportement que je suis.
    Ce DEA avait le mérite de démontrer sur des bases expérimentales que le discours sur les rôles respectifs de l’inné et de l’acquis n’est que métaphysique, c’est à dire improductif et même contreproductif sur le plan de la physique (science de la nature au sens large, englobant la biologie). Il est d’une grande pauvreté épistémologique, sous-tendu en fait par diverses idéologies à la mode il y a un siècle (citons le racisme nazi, qui faisait la part belle à l’ADN et voulait modifier la formule génétique de sa population et de la planète par des méthodes proches de l’amélioration du bétail, au behaviorisme américain, qui va bien avec le mythe américain selon lequel n’importe qui peut s’enrichir et devenir milliardaire dans un environnement libéral, yes we can !).
    Notre compréhension du monde physique passe depuis toujours par nos structures mentales, dont l’ontogenèse est le fruit d’interactions très complexes entre notre génétique personnelle et le milieu dans lequel nous nous développons dès le jour de la fécondation qui a produit notre œuf, notamment in utero. Nous héritons notamment de la langue parlée par nos éducateurs, transmise de génération en génération, en évolution permanente mais encore bien saturée d’une vision métaphysique du monde environnant (au point de provoquer des guerres de religion un peu partout), vision basée sur trop d’évidences perçues (le soleil qui tournait autour de la terre, mon village au centre du monde, …) et d’analogies (il faut bien un grand horloger pour créer le monde, d’où les religions du « Livre », …). Cet héritage culturel, les « Humanités » de mon père, est conservé et transmis dans diverses filières littéraires ou religieuses, qui maintiennent ainsi dans la culture populaire la légitimité et le sens des concepts et mots qui font la substance de notre langue commune. Le futur scientifique qui nait dans notre époque n’échappe donc pas à cet héritage culturel. Ce bonus inclus dans sa langue maternelle (et celles de chaque peuple) est acquis bien avant l’apprentissage du langage scientifique, réservé à une minorité, pour ce qui est de son top niveau, qui résulte d’une laborieuse construction scientifique non achevée, loin s’en faut. En effet, il est très difficile de s’extraire de la vision métaphysique de la nature et des faux débats comme celui des comportements qui seraient soit innés, soit acquis, genre de débat qui freinent encore gravement le progrès scientifique dans tous les domaines, d’où mon désarroi face aux actualités dans mes domaines d’expertise : on y présente comme des scoops des choses connues depuis un demi-siècles, des débats dépourvus de sens physique (genre copie de cancre), des fausses pistes lancées par des lobbyistes ou chercheurs en recherche de crédit ou de crédits. Les journalistes, incompétents ou complaisants ou asservis à l’audimat, produisent la soupe intellectuelle supposée réclamée et audible par le consommateur,…
    Un fossé énorme persiste donc de nos jours entre la réalité physique un peu mieux appréhendée par une élite et sa représentation populaire commune, toujours aussi métaphysique. Ce fossé pourrait même se creuser sous l’influence grandissante des créationnistes sur les programmes de Sciences Naturelles dans la plupart des pays développés (quand il a créé le monde il y a 7 000 ans, le bon Dieu a mis des fossiles de dinosaures vieux de 60 millions d’années pour décorer le sous-sol, alors exit la théorie néo-darwinienne de l’évolution …).
    Homo sapiens sapiens, qui se prétend sage et savant, réussira t-il à dépasser sa connaissance métaphysique naturelle de grand singe politique, pour acquérir une vision plus scientifique du monde physique réel, lui permettant de se réconcilier avec ses proches, ses voisins, ses étrangers et aussi les écosystèmes qui soutiennent sa survie future ?
    « Habemus spem » répond Denis. « Impasse évolutive ?» se demande le biologiste.

  6. @Jean-Marie

    Ça, c’est du commentaire !

    Je crains que beaucoup d’entre nous soient en perdition sur le plan idéologique, se contentant de reprendre à l’envi quelques banalités dignes du café du commerce.