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Haïti : histoire simple d’un orphelin des années Duvalier (3/3)

Par      • 17 Fév, 2010 • Catégorie(s): Mémoire  Mémoire    

SCHF a trente-sept ans. Mais il n’en est pas tout à fait sûr. Son passeport haïtien, fait avant son départ pour la France, donne des détails sur son identité mais il n’est sûr de rien. La police d’assurance jointe au passeport indique qu’il a été assuré pour 25000 gourdes et il a toujours cru qu’il était un des enfants vendus aux familles adoptives par le régime de l’époque. Son poids est en livres, 56.65 pour 1m27. Officiellement il a dix ans.

En Avril 1982 le visa est délivré pour un aller simple. Trois ans d’attente ! Trois ans à l’orphelinat après avoir vu ses parents assassinés sous ses yeux, son père d’abord, puis sa mère alors qu’il se serrait contre elle, tués par les « tontons macoutes », comme on appelait les milices de Duvalier fils, Bébé Doc, qui éliminaient tous les opposants à la dictature.

Sur son passeport apparaît le nom de la famille qui l’a adopté alors, ainsi qu’un nouveau prénom, bien français. Son nom d’origine, Marcellus est devenu son troisième prénom et son prénom d’origine son deuxième prénom. Il est français, haïtien aussi, mais il se dit toujours sénégalais, de la Casamance, d’où on a emporté ses ancêtres comme esclaves. D’ou ces quatre initiales, SCHF.

De l’orphelinat il a gardé une photo de lui, un pied nu, un pied chaussé. Il ne se souvient plus du nombre exact de ses frères et sœurs, très nombreux, dispersés aux quatre coins de la planète sans doute. Il a seulement gardé la trace d’une sœur au Danemark, très marquée par ces épreuves.
A dix ans (?) il ne sait ni lire ni écrire ni compter ; à l’école, deux ans dans l’Eure puis deux ans dans un pensionnat dans le pays de Bray, il apprend tout cela, malgré les quolibets racistes. Il apprend aussi à ne plus faire attention à cette hostilité.

A l'orphelinat, léger

A son arrivée en France on lui fait manger du « cochon », lui, musulman qui n’en avait jamais mangé, même avec les religieuses de l’orphelinat, et il en mangera jusqu’à ce qu’il prenne son indépendance.
Chère payée son indépendance ! Sa mère adoptive a recueilli deux autres enfants venus d’Asie. La famille de sa mère ne cache pas son hostilité. Il se souvient d’un mariage où, bien habillé et fier, il a vu les visages se fermer et les mains refuser sa main tendue. Heureusement son grand-père, jusque là plutôt froid, est venu à sa rescousse.

A quinze ans il quitte la maison, avec sa mère adoptive « c’était un dialogue de sourds« . Il vit dans la rue, sous les ponts, dans des foyers Sonacotra, aidé et soutenu par les parents de ses amis de pensionnat. Il se forme tout seul.
Son service militaire effectué, il rencontre une normande des environs de Bernay, elle est aujourd’hui encore sa compagne et ils ont deux enfants.

Pendant ce temps la France offre l’asile à Duvalier fils, enfin renversé après cette longue guerre civile (50000 victimes en 30 ans).
La ruine et l’indépendance vont de paire pour les haïtiens : après que les guadeloupéens ont été écrasés par Napoléon, lorsqu’il rétablit l’esclavage, les haïtiens déterminés eurent leur indépendance… contre 150 millions de francs-or à payer pour rembourser la France. Ils ont payé jusqu’en 1972.

Ces dernières années les gens mangent des galettes de terre pour survivre. Ce pays créé en 1844 par la division de Saint Domingue n’en finit pas de se faire ouvrir les veines.
Mais ce pays existe encore me dit SCHF, qui ne veut pas voir le drapeau américain flotter sur les bâtiments officiels, ni aucune autre forme de tutelle (les USA ont occupé Haïti de 1915 à 1937, puis ont débarqué en 1994 pour aider le retour du père Aristide, qu’ils ont refusé de soutenir une seconde fois en 2004, après avoir vu s’envoler leurs millions de dollars et constaté que ce « brigand » mafieux était le digne successeur des dictateurs dont il était censé réparer le chaos).

« On n’est pas morts, on a toujours notre âme. Que le tremblement de terre ne fasse pas oublier que la misère d’Haïti n’est pas venue par hasard. »
Un séisme de même magnitude au Japon ne fait pas autant de victimes…

SCHF, il a deux enfants, il a voulu leur donner une enfance heureuse, il était euphorique à leur naissance « plein de pensées pour ceux qui n’étaient pas là et qui pourtant étaient là. »

Il se souvient de son arrivée à Paris un soir glacé, moins 25 dans son souvenir d’enfant transi. Pourtant c’était avril. Pas de caméras, ni de première dame de France, l’arrivée des orphelins de la dictature n’émouvait pas les foules. Il lui reste une photo de son arrivée à l’aéroport, ainsi qu’un tableau donné au départ, montrant ce dont il se souvient, son village d’enfance, coloré, fertile, ensoleillé, avec ces huttes chaleureuses.
Mais les traces se perdent et les dossiers risquent d’avoir disparu à jamais dans ce séisme. Saura-t-il un jour où est sa famille ?

Enfance haitienne.

Il a construit sa vie en Normandie, il ne regrette rien. « Je n’ai plus rien à prouver » me dit-il.
Ses enfants grandissent : il leur apprend à ne pas s’énerver face aux médisances et aux méchancetés fréquentes. « Ils ont l’histoire de ce pays de martyrs à travers moi, de tous, les grands-parents, les oncles et les tantes, de la Casamance originelle et d’Haïti. »
Et il conclut : « j’ai fait du chemin, on est solide les haïtiens ».

Crédit photos : lemonde.fr

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Une Réponse »

  1. Très belle histoire.
    C’est aussi une belle rencontre… et une sacrée leçon de vie.