L’individu en morceaux !
Par Denis


Et si nous avions fait collectivement une erreur d’analyse sur la cause centrale des maux de notre société ? Depuis 2007, nous entonnons le même refrain, les mêmes sornettes. Nous serions en train de sombrer du fait du développement de l’individualisme. Et pourtant, à la lecture des modes de fonctionnement de la société, cette analyse semble en totale contradiction avec la réalité.
La diminution de l’autonomie
Le processus d’individuation est intimement lié à l’autonomie. L’entrée dans la vie active s’éloigne avec le rallongement des études censées nous fournir pourtant davantage d’autonomie. Nous parquons nos vieux. Les comportements addictifs liés à la consommation de tabac, d’alcool, de drogues ou de sucre explosent. Les exemples convergent : l’autonomie régresse plutôt qu’elle ne progresse. De nouvelles addictions émergent : jeux vidéos, Internet.
Le divin marché !
Dans son éloge des frontières, Régis Debray a parfaitement su nous montrer que, dans la période récente, les frontières se sont multipliées. En Israël, aux Etats-Unis, de nouveaux murs s’érigent, face au danger des « Huns » toujours plus nombreux et parfaitement imaginaires. Le paradoxe est que le nombre de groupes auxquels nous appartenons se multiplient, là où ils se réduisaient à l’armée, l’église, les syndicats et accessoirement les partis politiques à l’époque de la révolution industrielle. La perte d’autorité dans les corps institués plutôt que de pousser l’individu à davantage d’autonomie, comme se fut le cas dans un 1er temps, l’a amené à s’identifier à des groupes aux frontières mouvantes, qui nous donnent cette impression de faible degré d’appartenance et d’engagement à géométrie variable. Comme nous l’avait montré Félix Guattari, le développement de l’économie marchande continue de segmenter, d’atomiser la société, en posant de nouveaux périmètres de plus en plus artificiels, s’accommodant du développement des frontières, des murs et des communautarismes. L’objet est devenu le sujet principal de la société. C’est bien ce que nous avons qui serait censé nous déterminer aux yeux des autres. La réussite se mesure de plus en plus à l’empreinte carbone que nous laissons à l’humanité : une grosse voiture, une grande maison, …
Des primates de plus en plus autoritaires
Le développement de la logorrhée identitaire procède de ce besoin primaire d’appartenir à un groupe. Le groupe nous rassure. Il répond à notre besoin de sécurité. Il y aurait beaucoup à dire sur l’autorité et la hiérarchie telle qu’elle s’exerce dans ces groupes. Que ce soit au sein d’une entreprise, d’un parti politique, d’un club sportif, d’une page Facebook, il y a de moins en moins de place pour la contradiction. La soumission à la pensée du groupe est devenue le mode de fonctionnement du groupe. Il n’y a plus de place pour l’expression de points de vue différents. « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. », nous disait Jean-Pierre Chevènement. Le renforcement de la hiérarchie et de l’autorité au niveau du groupe est en totale opposition avec l’expression de la créativité. Il n’y a rien à attendre d’êtres humains soumis.
La féodalisation de la société
La dislocation des corps institués, et la multiplication des groupes dont le mode de fonctionnement est de plus en plus autoritaire, s’inscrivent dans un mouvement profond de féodalisation de la société et de dislocation de l’individu. Nous sommes très loin de l’idée d’un hyper-individualisme ravageur, à l’origine de tous les maux de notre société. Quand Nietzsche faisait le constat de la mort de Dieu, nous aurions dû comprendre qu’elle préfigurait la disparition d’une humanité, dont la soif d’avoir nous éloigne de la volonté d’être.
Stiegler pense à peu près la même chose :
http://www.youtube.com/watch?v=8XO4JetDf1s