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Les raisons structurelles à la destruction de l’emploi informatique

Par      • 21 Oct, 2012 • Catégorie(s): Economie et social  Economie et social    

Depuis la fin des années 1990, nous avons enfourné, dans l’appareil de formation, via les contrats de qualification et de professionnalisation, de nombreux jeunes munis d’un simple bac professionnel, dans les métiers de l’informatique, au prétexte qu’ils maitrisaient parfaitement le jeu vidéo. Les entreprises avaient alors besoin de bras et l’objectif était de disposer d’une main d’œuvre pas chère, abondante et accessoirement corvéable à merci.

Aguirre ou la colère de Dieu ?En 2008, l’APEC reconnaissait que le secteur informatique avait créé 700 nouveaux emplois cadres dans notre pays. C’est bien peu. Aux Etats-Unis, 46% des entreprises IT ont décidé de réduire leurs effectifs en 2009. Alors que le chômage dans le secteur informatique a atteint les 6% dans notre pays en 2012, régulièrement le patronat français crie à la pénurie d’informaticiens. Même si la contradiction a de quoi surprendre, la réalité est que les patrons français aimeraient disposer de personnels compétents et maîtrisant des savoirs fondamentaux payés au SMIC. Ils ne sont d’ailleurs pas loin d’y arriver. Une femme de 44 ans disposant de plus de 10 années d’expérience me révélait, gagner 1700 euros net en région parisienne. Désormais, les entreprises recrutent dans l’informatique sur le boncoin.fr.

Les écoles dont les frais de scolarité s’élèvent à 5000-7000 euros l’année continuent – dans le déni de réalité le plus absolu – de promettre l’eldorado à des jeunes qui prétendent à être des chefs de projets dans un secteur à l’avenir incertain. Ce sont au total 20000 jeunes qui sortent chaque année des filières de formation de l’informatique et nous sommes en capacité d’en absorber seulement 15000, selon la DARES. Il y aurait au total 530000 informaticiens dans notre pays.

Les raisons structurelles de la destruction de l’emploi informatique

A la lecture des évolutions du secteur, la prévision de 15000 emplois créés en rythme au cours des 8 prochaines années semble relever de personnes qui ont dû voir des éléphants roses. L’accélération de la destruction de l’emploi informatique dans les entreprises utilisatrices n’a pas été compensée par des recrutements dans les sociétés de service. L’augmentation du taux de chômage, à son zénith depuis 2006, semble d’ailleurs très largement corroborer cette hypothèse, alors que les SSII sous-traitent pour partie leurs activités dans les pays de l’Europe de l’Est et du Maghreb.

Il y a 3 facteurs structurels à la destruction de l’emploi informatique.
Le 1er, c’est l’augmentation des débits Internet combinée à la mobilité, même si la France reste un très mauvais élève en matière de connexions via fibre optique. La généralisation du très haut-débit provoquera l’accélération du départ des métiers de l’informatique des entreprises utilisatrices, perçus comme de simples centres de coûts, alors que nous sommes dans l’incapacité de mesurer la productivité induite par le développement de l’informatique. C’est le paradoxe révélé par l’économiste Robert Solow. Avec le SAAS (Software As A Service), nous louons la messagerie et la bureautique à Google ou Microsoft. Les informaticiens qui restent sont alors cantonnés à faire de la relation fournisseur, du helpdesk ou à retourner aux métiers de l’entreprise. Cruel destin pour des ingénieurs disposant de bac +4 ou bac +5, auxquels les chambres professionnelles et autres organismes de formation avaient pourtant promis monts et merveilles !

Le 2e facteur, c’est la baisse des prix des composants électroniques combinée à l’augmentation de la puissance. En 1986, le prix d’un micro-ordinateur était de 32000 francs, soit 4878 euros. Un micro-ordinateur 1000 fois plus puissant coûte aujourd’hui moins de 300 euros. Autrement dit, en cas de panne, il est économiquement plus intéressant de remplacer le matériel à obsolescence programmée – même partiellement amorti – que de faire intervenir un salarié français à 30 euros de l’heure pour chercher à le réparer. Certains économistes parlent, pour la Chine devenue l’usine du monde, d’un avantage compétitif absolu du fait de réserves de main d’œuvre surnuméraires. Malgré la hausse du pétrole et la déplétion des ressources, les prix resteront à la baisse durant de nombreuses années encore !

Le 3e facteur, c’est l’émergence des technologies de virtualisation. Du fait de la loi de Moore, une partie de la puissance des microprocesseurs (loi de Wirth) a permis la mise en œuvre de nouvelles techniques logicielles depuis le début des années 2000. La virtualisation des systèmes d’exploitation à la base du fonctionnement de nos ordinateurs les a rendus indépendants des matériels sur lesquels ils sont installés. Elle a accru la tolérance de pannes par la mise en place de solutions à très haute disponibilité. Elle a simplifié l’administration des parcs de serveurs des entreprises. Du fait de la globalisation et du nomadisme rendus possible par l’Internet, les techniques de virtualisation permettent d’exécuter nos systèmes et nos applications à partir de serveurs en Inde que nous pouvons basculer en quelques minutes sur les Etats-Unis, la Chine ou la France.

Quelles perspectives ?

Raspberry Pi™ Model BQue ce soit dans le domaine des réseaux, de la fabrication de composants électroniques ou des technologies en matière de virtualisation, la France ne possède plus d’industries en capacité de concurrencer les Etats-Unis ou la Chine. Nous importons tous nos matériels ou presque, mais aussi l’essentiel des logiciels commerciaux que nous utilisons. Or, la valeur créée en informatique réside avant tout dans le service induit par l’utilisation des logiciels. Le prix de la suite bureautique Microsoft Office Professionnel 2013 est annoncé à 539 euros. C’est le prix de deux ordinateurs d’entrée de gamme chez LDLC !

La question qui se pose à nous est de savoir quel pourrait être l’impact de la généralisation du logiciel libre dans l’informatique. Durant de nombreuses années, nous avons payé un lourd tribut à des entreprises peu scrupuleuses, dont les commerciaux sillonnaient la France du haut de leurs 4×4. Nous y avons sans doute perdu en compétitivité et en destruction d’emplois du fait de la captation de marges abusives. L’emploi généralisé du logiciel libre, comme le préconise le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, permettrait de ralentir la destruction d’emplois en les finançant par les économies sur le coût des licences liées à  l’utilisation des logiciels. Mais ne rêvons pas. Les directions administratives et financières des entreprises, des administrations et autres collectivités, voient avant tout dans le logiciel libre un moyen pour continuer d’abaisser les coûts.

Avec le RaspBerry PI, les Anglais viennent d’inventer un ordinateur à 35 dollars, là où nous attendions qu’il naisse d’un pays émergent. Un bien curieux signe des temps qui en dit long sur la réalité de l’Occident…

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6 Réponses »

  1. Je partage ton point de vue.
    Je m’occupe de l’informatique du PME et malgré une certaine défiance vis à vis du mode hébergé, SaaS et autres, j’avoue que je suis de plus en plus a cours d’argument pour défendre le modèle classique … et mon poste. J’ai encore du temps mais je sais qu’un jour viendra où les dirigeants se poserons la question :
    « A quoi il sert lui, à part réparer les imprimantes ? »

    N.

  2. Bonjour,

    Travaillant (encore) dans l’informatique, je me permets d’apporter qqes remarques.

    J’ai l’impression que c’est surtout le monde du dvpt qui souffre.
    3 raisons à cela.
    1- Il y a 20 ans, pour faire un programme il fallait 1 semaine et pour le moindre projet compter en mois était la norme. Cela créait de l’emploi et de l’activité.
    Maintenant avec les technologies RAD, on parvient à faire une maquette en qqes heures et le dvpt peut être terminé en qqes jours.
    2- L’omniprésence des ERP permet de faire moins en moins de dvpt spécifiques dans les entreprises. On met de plus en plus de choses dans ces énormes logiciels qui consomment de moins en moins d’humains à les maintenir
    3- Par le jeu des croissances externes, il reste très peu d’entreprises autonomes. De plus en plus, toute entreprise est la filiale d’une grande société qui s’est dépêché de centraliser son informatique….

    Pour avoir un peu connu les années glorieuses de l’informatique, il faut avouer que nous informaticiens n’avons pas été particulièrement populaires dans les entreprises durant très longtemps. Nous nous sommes constitués une tour d’ivoire. Il y a 20/30 ans les informaticiens étaient les dieux du stade. Il fallait prendre RDV pour avoir le droit de leur demander un service ou un dvpt. Les chefs d’entreprise actuels s’en sont souvenus et rappellent tous les jours que le service informatique doit être au service de l’entreprise et non pas le contraire. On paie les excès de nos pères

    Sur la partie matériel, efefctivement, on n’a plus de salariés payés à réparer des ordinateurs. ceux-ci sont devenus fiables.

  3. Avec des langages comme Java qui nécessitent une certaine industrialisation, j’ai plutôt l’impression que le cycle de développement s’est allongé.

  4. D’accord avec Azerty sur les dieux du stade dans les années 90. RDV, demande informatique visée par le N+1, le responsable du service info et le DAF… et on nous prenait pour des abrutis. Du vécu dans le groupe Philips.

  5. Votre vision me paraît bien pessimiste….S ‘il est vrai que la tendance est à l’externalisation pour des raisons évidentes de rationalisation, il me paraît prématuré de dire que l’informatique est en perte de vitesse (Le chômage augmente un peu certes, mais quel secteur peu se vanter du contraire aujourd’hui, sans compter qu’on n’est pas le secteur le plus touché) Le métier change c’est un fait et il est clair qu’à termes il y aura probablement moins d’informaticien sur place. Les travaux de proximités ne demande plus aujourd’hui une grande technicité.

    Pour autant l’ingénierie à encore de beau jour devant elle tant la complexité des infrastructures ne cesse d’augmenter… principal fautif ? la virtualisation justement, virtualiser ses machines c’est bien beau, il n’empêche que le socle hardware en devient plus critique et si on veut de la haute dispo au final on fait la même chose que dans les infras plus anciennes. On double les équipements et les infrastructures…. donc toujours plus de monde pour réaliser un projet de bout de bout (une équipe qui gère la partie physique, une autre pour la partie logique)…. Sans compter que les infrastructures qu’elle soit physique ou virtuelle il faut du monde pour l’exploiter. Alors certes on mutualise, mais je vois les équipes grossir et non l’inverse.

    « Du fait de la globalisation et du nomadisme rendus possible par l’Internet, les techniques de virtualisation permettent d’exécuter nos systèmes et nos applications à partir de serveurs en Inde que nous pouvons basculer en quelques minutes sur les Etats-Unis, la Chine ou la France »

    Faut pas exagérer non plus, ce n’est pas impossible mais alors elle n’héberge pas grand chose votre machine et surtout votre client à des exigences en termes de latence particulièrement faible.
    Je me vois mal faire ça avec des serveurs de BDD d’une grosse entreprise…. (La distance malgré les débits important à son importance malgré tout. A votre avis pourquoi Google/Facebook ouvre des datacenter en Europe….)

    Le principal atout de la virtualisation à l’heure actuelle c’est la disponibilité accrue des applicatifs, l’optimisation de la consommation énergétique et le gain de place (les m² c’est cher)…. Une entreprise n’investit pas dans la virtualisation pour les raisons que vous évoquez plus haut ou alors le DSI/DAF est un illuminé.

    « Les écoles dont les frais de scolarité s’élèvent à 5000-7000 euros l’année continuent – dans le déni de réalité le plus absolu – de promettre l’eldorado à des jeunes qui prétendent à être des chefs de projets dans un secteur à l’avenir incertain »

    Je trouve que cette phrase ne participe pas à la crédibilité de votre article… Les écoles qui pratiquent ce genre de tarif ne sont pas les plus côté dans le secteur loin de la… J’ai fait mes 5 années d’études en apprentissage, j’ai un diplômes d’ingénieur en poche qui ne m’a rien couté et j’ai signé mon contrat de travail avant la fin de mon cursus en province et pendant la crise s’il vous plait)… donc oui il y a de la demande dans le secteur.

    Tout n’est pas rose loin de là, il y a aussi du vrai dans votre article, mais de là à dire que se lancer dans l’informatique c’est aller droit dans le mur, faut pas exagérer non plus.

  6. @ibubbl3

    Je n’ai jamais dit ou affirmé que « se lancer dans l’informatique c’est aller droit dans le mur » !

    A titre d’information, concernant l’apprentissage, les contrats de qualification coûtent plus de 10000 euros sur 2 ans aux entreprises, sans compter les exonérations de charges qui coûtent à l’Etat.

    NB Je viens de finir une mission avec une entreprise qui virtualise entre la France, la Chine et les Etats-Unis. 130 stations de travail virtualisées pour ses salariés. Rien n’est exagéré dans l’exemple dont je parle !!!